Un pavé que j'attendais de lire depuis un assez long moment, que nous avons heureusement reçu en service de presse et que j'ai embarqué avec moi durant ma semaine de vacances. Il me fallait du temps pour le lire, et un moment off travail était l'occasion parfaite pour lire cette brique. Je suis bien contente qu'on l'ait reçu en service de presse car ce roman n'est vraiment pas donné, comme souvent chez Gallmeister, vendu à 27.90€... Bref, après "Ecoutez-moi jusqu'à la fin" de Tess Gunty, j'ai enchaîné avec un autre de la même édition avec le dernier de l'autrice du fameux "Betty" que j'ai pour projet de lire bientôt et qui pour ce roman a reçu la reconnaissance équivalente de la médaille de "L'ordre des arts et des lettres".
Dans son dernier roman particulièrement poignant, émouvant, difficile mais si génial, " Du côté sauvage", l'autrice parle toujours de son Ohio natal avec la ville fictive de Chillicoth dans laquelle se sont déroulées des morts irrésolues. Elle s'est servie de réels évènements s'étant déroulés pas loin de chez elle pour donner la parole à ces femmes dont tout le monde se fichait. On découvre alors Arc et Daffy comme Arcade, l'activité préférée de leurs parents et Daffodil Poet comme Narcisse, deux sœurs jumelles. Tout au long du récit nos héroïnes ont six ans, dix ans, sont ados, ont vingt ans. Cette alternance d'époque est très intéressante pour nous aider à cerner complètement leurs vies et leurs destins. Elles vivent dans un foyer brisé, instable, composé de leur mère Ady et de leur tante Clover. Toutes deux vivent ensemble depuis la mort du mari d'Ady, donc le père des filles lorsqu'elles étaient enfants. Depuis leur mère a replongé de nouveau dans la drogue et se prostitue. Vous imaginez sans mal l'état du foyer des filles...
Une des premières scènes du roman est leur mère qui étend dans la maison les affaires de son mari, ne pouvant se résigner à l'oublier. La grand-mère des jumelles débarque, Mamie Milkweed, seule figure stable de la famille ayant même obtenu la garde de ses petites filles jusqu'à leurs quatre ans, jusqu'à ce que sa fille et son gendre décident de devenir clean. Avant de sombrer de nouveau... Les filles vivent donc dans cette maison précaire, entourée de ces deux femmes toxiques, junkies et tout sauf équilibrantes pour des enfants. Clover leur tante passe ses journées allongée sur le canapé à regarder des reportages de voyage à la télé, en portant son col en fourrure peu importe la saison. Elle a pour habitude de mettre du sang sur sa ceinture pour se rappeler que la vie est un combat et la vie des femmes difficile, et de dire à ses nièces " crache crache petite araignée" et de cracher dans sa main et de l'appliquer sur une surface. Elle applique des morceaux de scotch sur le miroir de la salle de bains, ce qui fait qu'on ne peux même plus se voir nettement dedans. Bref une femme très spéciale qui se drogue et se prostitue. La mère des filles, Adelyn quant à elle passe sa vie allongée sur son matelas dans sa chambre, dans lequel elle creuse pour cacher des objets subtilisés aux "john" les hommes avec lesquels elle couche contre de l'argent. Elle communique avec sa sœur via boites de conserve interposées, avec lesquelles elles ont créé une sorte de talkie walkie. Les deux sœurs sont de plus en plus sales et dégagent des odeurs de transpiration, de pisse et de saleté.
Arc et Daffy, malgré cette maison sale, pleine de seringues apparentes, pleine de "john" qui viennent coucher avec leurs mères, pouvant clairement les entendre copuler, tentent de survivre dans cette enfance qui n'est pas de leur âge. Il y a toujours un côté sauvage aux choses, mais aussi un joli côté, et elles tentent de se raccrocher à ce dernier. Petites, elles passent beaucoup de temps avec leur grand-mère qui les aime et leur montre, mais mourant lorsque les filles ont 10 ans. Il y a d'ailleurs une scène vraiment dégoutante lorsque la grand-mère meurt, avec un des "john" qui prend les cendres de la défunte pour du café, je vous laisse imaginer...
Des années durant et ce jusqu'à leurs vingt ans, même si à une période les choses changent, les filles vivent dans ce foyer. Lorsqu'elles sont enfants, un jour elles se font violer par un des "john" qui les achètent avec des Happy Meal, et leur tante Clover qui voie l'agression de l'empêche pas... On est alors direct projetés dans cette violence qui entourera la vie de ces filles. Les jumelles sont très fusionnelles, et tentent par tous les moyens de se créer un monde à elles, une bulle, qui leur fera oublier la misère. Elles ont chacune un œil bleu et un vert, et sont toutes les deux rousses, leur mère leur disant régulièrement "c'est qui ma fille aux yeux bleus" " c'est qui ma fille aux yeux verts", et chacune d'entre elles ferme un œil correspondant à la couleur. Leur mère les traitant souvent de sorcière de par cette singularité physique ainsi que leurs cheveux roux. Leur grand-mère au contraire leur dit que ce sont des princesses, et elles se fabriquent une couronne qui les aidera à appréhender cette vie. Leur mère est très bipolaire dans son attitude avec elles, leur disant souvent qu'elle les aime, mais aussi qu'elles les abandonneraient volontiers.
Après avoir été violées, elles nomment le "john" violeur "l'araignée", on voit d'ailleurs tout au long des pages du roman des araignées dessinées, menaçantes dans la vie de ces enfants. Cet homme est en plus un flic, représentant une figure d'autorité et normalement de protection sur la population, mais qui dans ce cas représente un danger. Elles sont donc dans l'incapacité de se raccrocher à quoi que ce soit... Des enfants qui n'auront que tardivement dans leurs vies de l'aide pour les aider. Daffy est une très bonne nageuse, adore l'eau, se baigne souvent dans la rivière, tandis que Arc adore creuser et veut trouver les trésors qu'il manque dans la vie de sa mère pour l'aider à aller mieux, notamment sa boucle d'oreille cheval que son mari lui avait offerte. "Un œil bleu pour la fille qui aime nager" et "un œil vert pour la fille qui aime creuser". Elles passent d'ailleurs beaucoup de temps dehors notamment près de la rivière à s'inventer des histoires. Lorsqu'elles rentrent chez elles, s'enfermant dans leurs chambres, Clover et Ady se rendent à peine compte qu'elles sont rentrées, s'enlisant dans leur addiction et leur misère. Daffy et Arc ayant été élevées dans l'optique qu'elles étaient à elles deux un seul et même être. D'ailleurs plus tard, elles se mettront à chaque fois du rouge à lèvres sur une seule lèvre, leurs deux lèvres maquillées représentant leur être entier.
Lorsqu'elles sont plus âgées, les filles ont coutume de porter des pancartes sur elles dans la rue et d'arnaquer les gens. Puis, elles fréquentent un hôtel dont elles se servent pour faire leurs affaires avec des "john" à leur tour, après leur mère et leur tante. Lorsque j'ai lu ces lignes, j'avoue que ça m'a pas mal déprimée de voir qu'elles suivaient malheureusement les traces des femmes de leurs vies. Elles font la connaissance de Thursday une jeune femme qui vit seule dans un mobil home, pourtant entourée de parents aimants et équilibrants, mais qui a fait le choix de vivre comme ceci. Ses parents viennent d'ailleurs souvent lui rendre visite ne comprenant pas le choix de leur fille, lui apportant régulièrement des courses. Thursday porte des vêtements, troués, les agrandissant elle-même, et comme les jumelles, se droguant. Il y a aussi Violet qui a une fille vivant avec son papa, dont le rêve, loin de la vie qu'elle a, étant d'ouvrir une pâtisserie. La figure la plus équilibrée du petit groupe autour de Daffy et Arc. Les filles sont entourées d'un tatoueur du nom de Highway Man, un homme foncièrement mauvais qui représente l'oppression des hommes envers les femmes, il y a une scène particulièrement difficile où il fait subir quelque chose d'horrible à Thursday... Les "john" sont aussi un danger pour ces femmes tout du long, elles ont pourtant besoin d'eux pour survivre financièrement mais représentent toujours pour elles un grand danger.
Toutes sont amies, partagent la même vie précaire de junkie et misérable. Une première femme du nom de Harlow est retrouvée morte dans la rivière, Daffy l'ayant découverte. c'est ensuite au tour d'une autre de leurs amies etc... Les jumelles à un moment alors qu'elles sont adultes, se rendent dans un centre de désintoxication, les Evergreen Daughters pour tenter de s'en sortir. Elles y font la connaissance de Indigo et Violet qui seront des amies. Elles vivent ensuite un moment seules, adoptent même un petit chaton que Daffy insiste pour adopter le nommant Petticoat, avant de retourner à leur vie d'avant dans leur foyer brisé... Puis des années plus tard alors qu'elles ont plus de 20 ans, Daffy disparaît et Arc se tatoue seule des narcisses sur les bras ( le prénom entier de sa sœur) pour se rappeler l'autre partie d'elle même.
Bref, j'en ai déjà dit beaucoup, mais durant ces 700 pages, la vie de nos jumelles est vraiment difficile à lire, subissant tellement de malheurs et de mauvais traitements qu'on se dit qu'elles ne s'en sortiront jamais. Malgré tout il y a parfois des notes d'espoir, même si celles-ci sont brèves. Il suffit de regarder du bon côté et pas du côté sauvage. J'ai beaucoup aimé le fait que l'autrice ait décidé de partir d'une histoire vraie et de rendre hommage à ces femmes oubliées, pas suffisamment intéressantes pour qu'on daigne s'intéresser à elles une fois mortes. Cette ville de Chillicoth représente un danger pour toutes les femmes qui y vivent, comme bloquées dans cette vie, incapables de s'en échapper. Cet aspect vraiment emprisonnant, huis-clos dans un petit bled est particulièrement présent, et est particulièrement étouffant. Une histoire difficile je ne vous le cache pas, mais vraiment prenante, le style de l'autrice étant assez incroyable.
"Du côté sauvage" de Tiffany McDaniel, 27.90€
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