Troisième et dernier roman des romans l'Iconoclaste que je lis de cette rentrée littéraire de fin août. Je pense et de loin, le livre le plus difficile à lire. Il s'agit d'un premier roman, écrit par une jeune femme journaliste du nom de Alice Develey qui raconte dans ces plus de 380 pages, de façon romancée mais fortement tirée de sa vie, son anorexie. En effet à ses 14 ans, Alice fut hospitalisée, en réalité plus d'un an et demi, nous confie t-elle à la fin du livre, ayant souhaité condenser cette épreuve sur quelques mois dans le roman, mais en réalité cela aurait été plus long.
Une lecture difficile car forcément voir une jeune fille se détruire si jeune fait mal. Surtout quand on sait que l'autrice a réellement vécu cette souffrance. Alice vit avec son grand-frère Armand, le fils prodige tandis que ses parents se séparent au bout de plusieurs années, Alice ayant été le bébé "essai" du maintien de leur couple, un rôle bien trop lourd à porter pour les frêles épaules de notre autrice/narratrice. N'ayant jamais reçu de véritable affection et amour de la part de ses parents, ayant été élevée dans l'ombre de ce frère qui prend tant de place, Alice a grandi en entendant sa mère lui dire de faire attention à ce qu'elle mangeait, qu'elle grossirait sinon. A 14 ans donc, Alice est très mince, se cache derrière des vêtements larges pour ne pas subir les remarques des uns et des autres. Jusqu'au jour où elle est hospitalisée de force, sans même pouvoir préparer ses affaires, sa mère ne lui mettant que des mots croisés, et aucun livres alors qu'elle adore lire.
Alice se retrouve alors brutalement parachutée dans l'univers hospitalier, qui se poursuivra en réalité un an et demi comme je vous l'ai dit, mais de nombreux mois dans le récit. Elle se retrouve tout d'abord en pédiatrie entourée de certaines personnes dans sa "situation" d'anorexie. Elle croise plusieurs filles qui seront ses camarades de chambre, croisera également diverses infirmières qui seront plus ou moins sympathiques. Elle partage de façon brute ses sentiments de colère, de souffrance, mais aussi de tristesse d'avoir été enfermée là pour une durée indéterminée par cette famille qui ne se soucie si peu d'elle. Elle juge sévèrement ses autres camardes qui selon elle se morfondent dans leur malheur "On souffre d'une maladie, on n'est pas une maladie. Mais non eux ils veulent être réduits au pire de leur existence, ils te serrent la main et te tartinent leur souffrance sur la gueule. Ils refusent qu'on leur dise tu peux le faire. Bien sûr que non ils peuvent pas, ils sont heureux d'être malheureux".
Une routine s'installe alors. Des repas à heure fixe qu'elle ne mange qu'à peine, parfois un peu de lecture, la sauvant clairement de cette souffrance intérieure qui la déchire. Elle tient aussi un journal qu'elle écrit furieusement, mais qu'elle cache. Les médecins insistent pour qu'elle s'alimente ne comprenant pas pourquoi la jeune fille refuse de s'alimenter, ne pesant que 36kgs. Nous lecteurs, assistons à cette descente aux enfers qui va aller crescendo, entre ses pensées noires qu'elle allégorise en une certaine Sissi, comme si une sombre figure lui balançait à longueur de journée qu'elle était grosse, moche, qu'elle ne servait à rien, et qu'elle serait mieux morte. Cette Sissi est présente tout au long du roman, on se rend alors vite compte qu'Alice ne va vraiment pas bien, comme si son inconscient se matérialisait sous la forme d'une méchante personne qu'elle seule puisse voir. Tout au long de son séjour elle est là, à l'insulter, la critiquer, la juger, lui intimant de refuser les repas, de se faire du mal, de mourir. Alice est prise de lubies comme battre des pieds bien qu'elle ait été attachée de force après avoir voulu se scarifier encore et encore. Battre des pieds comme si en faisant cela elle pouvait perdre quelques grammes.
Après des repas que l'on tente de lui faire ingérer, ce sont des cachets qu'on lui donne pour lui faire reprendre du poids et combler ses carences. Ensuite arrive la dure épreuve de la sonde, qu'on lui met de force par le nez pour la nourrir, car les tentatives du corps hospitalier ne sont pas probantes sans aide d'Alice. Elle se sent alors violée, meurtrie, souillée, continuant de se scarifier avec des objets contendants qu'elle réussit à trouver. Ces scènes sont particulièrement difficiles à lire, étant fréquentes, répétitives et violentes "la douleur assassine les mauvaises pensées. Elle rend absolument vivant. Et puis d'abord, si j'avais voulu en finir, il y a bien longtemps que je me serais coupée comme du saucisson!" Après plusieurs semaines avec cette sonde, sans qu'aucune amélioration ne survienne, Alice est alors placée au sixième, l'étage psy où certaines de ses camarades vont et reviennent. Au moins là-bas se dit-elle elle ne sera pas aussi fliquée qu'ici. Finis alors les rares privilèges dont elle pouvait jouir à savoir les rares moments de liberté qui lui étaient octroyés. Plus de visites, de toute façon son frère n'est jamais venu, son père quasiment pas, tandis que sa mère se contentait de la regarder une expression meurtrie et peinée sur le visage, n'osant jamais discuter de sujets profonds avec sa fille.
Elle se retrouve alors shootée aux médicaments, aux traitements contre la schizophrénie, la bipolarité, la dépression, certains effets secondaires entraînant d'autres soucis et ainsi de suite. Souvent attachée car trop virulente et voulant se faire du mal, Alice a vécu l'apathie, l'hyperactivité, tant d'états peu naturels. Ce qui m'a choquée est la quasi nullité des échanges avec un psychiatre. J'espère qu'elle en a eus, cependant ils ne sont pas évoqués. Pourtant, avant n'importe quel traitement ou tentative de quoi que ce soit, ce suivi psy aurait du être la priorité. Les paroles sont très crues, très violentes, j'ai lu ce livre durant mes heures de travail et j'avoue qu'il m'a pas mal remuée et déprimée. Bien que je n'ai jamais connu ces soucis, lire autant de malheurs qu'une jeune personne a vécus était vraiment difficile. Il me fallait régulièrement faire une pause dans ma lecture.
Elle nous partage beaucoup de ses souvenirs de famille, comme la fois où son oreille s'était infectée et où la boucle d'oreille était devenue inatteignable. "Je n'avais rien senti. Mon père m'avait regardée interloquée, l'air de dire tu n'as pas eu mal? Non. J'avais vécu avec ce parasite sans aucun problème. Signe qu'on peut très bien vivre avec un monstre sans s'en apercevoir." Toute cette souffrance accumulée en elle que le corps médical tente de soigner, mais le lecteur assiste impuissant à aucun soupçon d'amélioration. La relation avec son père, et sa belle-mère qui cuisinait des plats que ne souhaitait pas manger Alice, et dont le père la forçait à manger. Un père dont la nourriture était gage de lien entre les personnes tandis que pour sa mère, gage de malheurs car responsable de la prise de poids... La mère d'Alice ayant pris plusieurs tailles après sa grossesse, tenant sa fille pour responsable de cela et aussi de la séparation d'avec son mari l'ayant quittée pour une femme plus mince. Les complexes des parents se déversant de façon si colossale et violente sur les enfants...
Alice nous parle du rapport au corps des anorexiques, qu'au bout d'un moment elles n'ont même plus faim. "L'anorexie est un mal qui ne naît pas de l'image mais de l'oeil. Il a besoin de l'autre et de son regard pour souffrir. L'anorexie est une maladie de l'autre." Les semaines passent, elle noue plusieurs amitiés avec des jeunes filles de son âge, certaines qui peuvent rentrer chez elles, d'autres qui resteront plus longtemps. Pia et Aurélie qui sont diabétiques qu'elle rencontre au début de son séjour en pédiatrie. Louise très certainement dans la même situation qu'Alice même si elle refuse de parler. La petite Luce, si petite qu'elle rencontrera lorsqu'elle sera de nouveau en pédiatrie. Gabriel le médecin, commençant à lui parler gentiment qui au fur et à mesure des mois ne sera plus aussi sympa. Rebecca l'infirmière rustique qui la secoue et lui dit de se prendre en main. Houda la gentille infirmière à qui elle peut se confier. Les rares activités manuelles où les filles peuvent alors faire des masques en papier mâché. Les balades en cheval. Bref.
Bien que l'autrice ait sauté des épisodes de sa vie durant cette hospitalisation, il y a beaucoup de répétitions. Beaucoup de jours se ressemblent, les mêmes pensées sombres l'assaillent, les mêmes scarifications, bref c'était bien trop long à mon sens. Je pense que le livre aurait largement pu tenir sur moins de 300 pages. Je ne sais pas quelle note je lui mettrai mais ce qui est sûr est que "Tombé du ciel" sera difficile à lire pour beaucoup de personnes, raison pour laquelle je n'en n'ai pas commandé beaucoup pour la librairie. C'est cependant un sujet très important évidemment, qu'il est nécessaire de comprendre, mais dans ce livre, traitée de façon vraiment dure.
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