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Badjens

 Un autre roman de la rentrée littéraire, je les enchaîne en ce moment pour pouvoir vous proposer des titres sympas que j'ai jugés intéressants. J'avais vu de très bonnes critiques de la part des autres libraires du groupe où je travaille, j'étais donc assez curieuse de lire ce roman de Delphine Minoui "Badjens" qui avait aussi écrit "L'alphabet du silence", que j'avais en plus acheté à ma mère, que je vais clairement lire bientôt. En ce moment j'aime bien lire des romans qui se passent au Proche, Moyen-Orient ou Maghreb comme le génial " La poule et son cumin" de Zineb Mekouar qui parle de deux femmes marocaines. J'apprécie d'autant plus que les romans soient écrits par des personnes d'origine du pays dans lequel elles mettent en place le récit. 

Delphine Minoui d'origine iranienne, lauréate du prix Albert-Londres et grande reporter au Figaro, depuis plus de 25 ans, elle couvre l'actualité du Proche et Moyen-Orient. Dans son dernier roman "Badjens" signifiant en persan "espiègle" ou "effronté" elle nous parle de l'Iran en 2022 dans la ville de Chiraz. J'ai lu ce roman coup de poing d'une traite, étant plutôt fin, 150 pages, ayant été complètement immergée dans le récit. On suit Zahra, surnommée Badjens, jeune fille de 16 ans qui lors de la révolte    " Femme, vie, liberté", arrache le foulard qu'on l'oblige à porter et le brûle pour montrer son mécontentement quant aux diktats imposés par les hommes sur les femmes. Zahra est une enfant non désirée par son père qui souhaitait absolument un fils, la vie d'une fille en Iran ne valant pas grand chose. Elle nous apprend que même son grand-père a voulu faire en sorte que ce bébé ne naisse pas, s'arrangeant avec un docteur qui en retour d'une belle somme aurait avorté la mère de notre héroïne.        "L'Islam, religion d'Etat, interdit l'avortement. Sauf qu'en Iran, tout se négocie même la religion". 

Zahra parle beaucoup de cette religion imposée par l'Etat, imposée par des hommes qui veulent avoir une emprise sur les femmes, les contrôler, "J'ai compris le rôle qui m'était assigné. Jusqu'ici je n'étais qu'une erreur. Désormais je serais celle qui s'écrase, se tait... A part pour Maman je ne compte pas". Elle nous fait énormément part de sa haine quant à cette religion qui opprime les femmes, qui divise, un Dieu qui les asservit notamment avec le voile qu'elle doit endosser poussée par son institutrice elle-même dès ses neuf ans, alors que le corps commence à montrer des signes de féminité "Tu aimes Dieu? Euh oui... Tu ne veux pas Le décevoir? Bah...non! Alors cache-moi vite cette frange et redresse ton maghnaé!" "Il faut protéger les magnifiques fleurs que vous êtes devenues. Nous protéger? De qui? Des hommes, pardi! "Ces paroles sont inculquées dans la tête des petites filles dès leur plus jeune âge que le voile les protège...  Forcée par les femmes elles-mêmes qui ont bien compris qu'elles n'ont d'autre choix que d'endosser ce tchador qui les soustrait au regard du monde et cessent donc d'exister d'une certaine façon, forcée par la police des mœurs qui n'hésite pas à arrêter et même molester celles qui se baladent tête nue ou ont mal mis leur foulard, Zahra n'a pas d'autre choix que de suivre. Un jour cette situation lui arrive alors que son foulard glisse, lors d'un séjour avec sa mère à Téhéran. L'autrice écrit quelque chose de très vrai comme quoi le voile ne devrait être ni forcé, ni interdit.

Un pays ayant pourtant connu une autre existence, celle des cheveux au vent et des minijupes, tout ça avant les années 70, avant que l'ayatollah Khomeini en 78 fonde un pays et des lois selon les principes de la loi coranique. Le portrait de cet homme ainsi que d'Ali Khamenei son successeur trônent au dessus des tableaux de salles de classe, rappelant perpétuellement aux petites filles qu'elles doivent obéir à ces hommes qui ont décidé de ne pas les considérer. Des hommes qui portent le turban, moyenâgeux selon les dires de notre héroïne, et qui appliquent des principes d'un autre temps. 

Des hommes et une religion tellement ancrés dans la tête de tout iranien qu'ils répètent sans arrêt " Si Dieu le veut, Dieu soit loué, Dieu te protège". A l'extérieur, Zahra endosse ce truc qu'elle déteste, qui la gratte, qui l'empêche de s'exprimer, et qui la rabaisse, mais chez elle elle souhaite être qui elle est, " A l'école et dans la rue, je serais celle qu'on veut que je sois. A la maison, celle que je veux être". En l'absence du père trop présent et sévère et du frère glorieux, Mehdi, despote et enfant gâté, "Un Roi-Soleil" sur assentiment de sa mère, Zahra développe son esprit critique, s'engage de plus en plus grâce aux réseaux sociaux, et brise les interdits. Ceux de se maquiller, de sortir tête nue, de s'habiller comme elle le souhaite, d'avoir une proximité avec le sexe opposé, l'Islam empêchant les relations avant le mariage, ainsi que l'homosexualité, mais ne voit aucun problème à ce que deux personnes du même sexe passe du temps ensemble. L'hypocrisie de la religion. 

Zahra est confronté à cette énorme différence de traitement entre son frère et elle. "Enfant choyé. Pourri gâté. Dispensé de vaisselle. De serpillère. D'épluchage de pomme de terre". Qui tue les insectes et asservit sa petite sœur. Zahra qui vit une agression sexuelle par son cousin. Qui sait très bien que les familles des victimes de viol doivent se taire, outrée d'une affaire qui fait grand bruit, celle d'une femme qui a poignardé son violeur, condamnée à la pendaison. La victime qui devient la fautive dans une société où l'homme est roi et la femme son objet. En dehors des cours où elle fait le vide dans sa tête pour survivre à cette société qui la déteste Zahra s'exprime chez elle sur les réseaux sociaux grâce à des VPN et à des combines pour partager, relayer au monde ce qu'il se passe dans son pays. Le mouvement qui prend de l'ampleur, celui des femmes qui se rebellent, qui manifestent contre la sharia, contre un pays qui ne les aime pas. Sa mère de son côté pacifiquement la soutient, son père étant complètement inactif et impassible. 

Zahra appelée comme sa grand-mère mais surnommée Badjens prend donc son courage à deux mains, risquant de se faire tirer dessus pour réclamer la liberté, mais court vers cette foule, dans l'espoir de jours meilleurs. 

Un roman particulièrement prenant et bouleversant, dans lequel j'ai pris tellement de photos de citations, de phrases importantes pour faire cet article, et pour me souvenir. Cette lecture remet en perspective pas mal de choses quant aux droits des hommes et femmes dans certains pays. On est directement plongés dans un pays aux lois absurdes, patriarcales et d'un autre temps, dont la jeunesse souhaite qu'il évolue. La religion qui soi-disant unit les gens les divise entre eux en fonction de leur sexe. Un témoignage nécessaire. 



"Badjens" de Delphine Minoui, 18€

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