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Le bastion des larmes

   Un roman dont j'entendais un peu parler sur les réseaux, notamment le compte Instagram de Enzoreads que j'aime beaucoup. J'attendais le service de presse mais en vain, je l'ai donc demandé, puis il a été nominé dans la première sélection du Prix Goncourt, je me suis d'autant plus dit qu'il fallait vraiment que je le lise. Je lis pas mal de romans se déroulant au Maghreb, Proche et Moyen-Orient ces temps-ci vous aurez pu le remarquer un peu, j'avais donc envie de continuer ma découverte de la culture nord-africaine avec ce roman et plus de cela engagé parce que Abdellah Taia est marocain et homosexuel. Deux caractéristiques qui peuvent paraître assez contradictoires quand on sait que l'Islam comme pas mal de religions condamnent l'homosexualité. Il est très engagé dans la reconnaissance des droits LGBTQ surtout dans son pays d'origine, et fait en ce moment pas mal d'interviews. Quand j'écris ces lignes, ce roman est également nominé pour le Prix Médicis. J'espère vraiment qu'il remportera un prix.

En partie autobiographique c'est certain, ce roman se déroule entièrement au Maroc où Youssef, la quarantaine, retourne au Maroc, vivant présentement en France depuis longtemps où il est prof. Mais la mort de sa mère Malika le fait revenir au pays auprès de ses six grandes sœurs, femmes très fortes et libres, qui l'ont en partie élevé même si elles ne l'ont pas protégé j'y reviendrai ensuite. Il retourne donc dans sa ville natale de Salé où la fratrie de huit enfants a été élevée, lui-même exilé en France, son jeune frère étant parti du jour au lendemain avec sa femme en Suède, ses cinq sœurs étant restées au Maroc et l'une d'entre elle étant partie aussi pour l'Europe. Youssef n'a plus du tout de contact avec sa famille mais suite aux funérailles il est bien obligé de retourner sur sa terre natale. Une terre qui ne l'a jamais accepté, qu'il a fui avec espoir d'une vie meilleure ailleurs. Ses sœurs font la tournée de tout le quartier de Hay Salam pour rembourser les éventuelles dettes que sa mère avait contractées, comme le veut la tradition. Six femmes soudées, formant une sorte de secte, enterrant les différends ou rivalités le temps de rendre hommage à leur mère.  

Dix ans plus tard, il retourne à Salé afin de vendre l'appartement de sa mère, un bien qu'elle a mis des années à acquérir, toute la famille vivant dans la misère, dans un tout petit espace dans lequel les huit enfants et deux parents s'entassaient. Youssef retrouve alors les souvenirs du passé, les bonheurs ainsi que les malheurs qui l'ont frappé. On apprend très rapidement que Youssef est homosexuel, et que son pays ne l'accepte pas, régi par la religion musulmane condamnant ce qu'elle voit comme un pêché. Jeune homme, Youssef s'était épris de Najib alors qu'il avait 16 ans et Najib 24, ayant entretenu une liaison intense. Le récit est organisé de façon à ce qu'on soit dans les pensées de Youssef et dans celles de Najib, parfois légèrement difficiles à suivre car il faut se concentrer sur lequel des deux on suit au moment T.

C'est comme si Youssef s'adressait aux personnes importantes de sa vie et de son passé qui ont fait de lui qui il est maintenant. Najib le fameux homme avec lequel a été Youssef s'enfuit vers le nord du Maroc pour vivre avec le colonel Toufik, un homme respecté, et bien qu'il soit gay, tout le monde le respecte et le craint. Il offre à Najib une revanche "Je veux ma vengeance. Je la veux et je la revendique." Un homme blessé par les habitants de Salé qui n'acceptent pas qu'un des leurs soit de l'autre bord et l'ont grandement fait souffrir comme ça a été le cas avec Youssef ainsi que les autres homosexuels qu'ils ont maltraités et violés. Il y a en effet plusieurs réminiscences de scènes de viol sur Youssef et Najib, moments particulièrement difficiles du récit, où des hommes s'acharnaient sur le corps de ces pauvres garçons alors qu'ils n'étaient encore qu'enfants/adolescents. Ils voyaient qu'ils étaient différents et en profitaient pour leur faire subir des atrocités. Les sœurs de Youssef voyaient bien que leur petit frère rentrait à la maison en sang mais ne disaient rien. Comme une omerta qu'on n'ose briser... 

Youssef parle aussi d'un amant de Khalid, lui même amant de Najib alors qu'il était plus jeune, un certain Kaddour, un homme qui est parti pour ne jamais revenir. A un moment du roman Youssef prend le train direction Rabat sans savoir où il va descendre et se rappelle l'histoire de cet homme que son ancien amant avait aimé. L'image de ces hommes est très forte, même s'ils ne sont plus présents. Khalid devient alors flic et se met à oppresser les gens, lui-même opprimé de par son orientation sexuelle. L'auteur nous montre l'hypocrisie des marocains face à l'homosexualité, la religion, comment ils s'arrangent avec leur conscience et peuvent changer d'avis en moins de deux secondes face au pouvoir et à la richesse. Youssef nous raconte plusieurs scènes d'attouchements sexuels de la part d'hommes sur d'autres hommes, d'où l'hypocrisie mais aussi les plus bas instincts de l'homme. Comment également, il prend part dans la défense de ses homologues et encourage les femmes à être libres, en pleine possession de leur vie comme sa bonne Mounya femme lesbienne qui a fait de la prison. 

Un roman bien trop riche pour être résumé en un article pas trop long, je vais donc m'arrêter là. Une lecture pas simple de par la présence de beaucoup de scènes violentes, mais une vraie volonté de paix, de bonheur, d'acceptation du passé pour embrasser son avenir, la difficulté de la famille avec l'amour-haine. Un roman nécessaire qui je l'espère remportera des prix littéraires. 



"Le bastion des larmes" de Abdellah Taia, 21€


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