"Sous les strates" est un petit roman écrit par Lou Eve, dont j'ai demandé le service de presse, parce que la couverture très colorée m'avait attirée, et car l'histoire avait l'air intéressante. J'avoue avoir lu le résumé en diagonale ce qui m'a laissé une surprise pour la découverte de ce livre quasiment intégralement lu au boulot. Je voulais un roman court, qui soit facile à lire ainsi que facilement transportable, j'ai choisi le bon.
A travers trois femmes, Linh jeune femme d'origine vietnamienne adoptée bébé par des parents français, Françoise sa mère adoptive ainsi que Minh sa mère biologique, le récit nous fait beaucoup voyager dans ces 250 pages, entre un village des Vosges, à Sète dans le sud où ses parents déménagent ensuite, jusqu'à Lyon où vit Linh pour ses études, en passant par Shanghai et Bangkok où elle fait des stages puis travaille jusqu'à Hô- Chi Minh où vit sa famille biologique. Une lecture riche et dense, dotée d'une écriture assez nerveuse, nous montrant une jeune femme pleine de questionnements. Linh, une petite fille renfermée et sage, forte à l'école, obéissante, ne faisant pas de vagues, en mal d'affection et toujours très demandeuse envers ses parents Françoise institutrice qui l'initie à la culture à travers les livres ou le cinéma, et son père Christophe n'ayant jamais eu son bac, un homme simple mais bon.
Linh a sans cesse peur de la mort, peur que ses parents disparaissent et la laissent seule, elle ne s'imagine sans eux, et cette peur de la mort lui cause bien du stress. Elle a une grande sœur, Lila, elle aussi adoptée au Vietnam qui contrairement à elle, fait les quatre cents coups, s'embarque dans de drôles d'histoires et cause bien de l'angoisse à ses parents. On suit Linh sur 25 et quelques années, de son enfance sans vagues et sans trop d'amis, en passant par l'adolescence, jusqu'à sa vie étudiante où elle s'émancipe de ses parents pour vivre seule et se découvrir. Elle part ensuite pour la Chine en stage puis dans la capitale thaïlandaise où elle découvre un autre monde, un autre environnement, apprend le chinois puis le thaï, se crée des amitiés fortes comme avec Eté une jeune fille malade qu'elle rencontra à Shanghai qu'elle reverra ensuite des années plus tard à Paris.
On suit aussi sa mère biologique, Minh, dans la capitale vietnamienne, une femme n'ayant pas eu accès à l'éducation, faisant de son mieux pour apporter de l'argent au foyer qui s'agrandit au fur et à mesure de ses grossesses. Son mari Sang est violent, boit trop et la frappe régulièrement. La famille est précaire et se laisse donc convaincre de faire adopter leur fille Ngoc Linh afin qu'elle puisse avoir une meilleure vie que la leur. Elle aura au total plus de cinq enfants, dont son fils cadet, Nhu, ressemblant étrangement à sa grande sœur qu'il n'a jamais rencontrée. Minh n'oubliera jamais sa fille, à laquelle elle écrira de nombreuses lettres, pour la plupart jamais envoyées.
Christophe, Françoise et Linh accompagnés de leur aînée, se rendent une première fois chez Minh et Sang afin que leur fille rencontre sa famille biologique, puis y retournera une seconde fois, voyage long en avion qui terrifiera Linh. Suite à cette rencontre, Linh a encore plus de mal à trouver sa place, n'étant pas assez asiatique au Vietnam, ne parlant pas la langue et devant avoir une interprète avec elle pour communiquer avec sa famille, mais est considérée comme une "chinetoque" en France où les enfants ne cessent de se moquer d'elle. Une grosse difficulté de trouver sa place, et de grandir au sein d'une famille blanche en tant qu'adoptée asiatique dans un environnement où elle est la seule asiatique et où les gens ne cessent de la regarder bizarrement en se posant des questions. Trop française, trop asiatique, qui est-elle vraiment? Le récit se déroule sur plusieurs années, entre les points de vue de Françoise, d'elle Linh et de Minh, donnant une dimension intéressante au récit.
Il est beaucoup question de quête d'identité, de comment grandir, d'amour, de famille. Linh est acceptée à Sciences-po Lyon, devient un peu bourgeoise et s'éloigne de sa famille qui n'a que peu d'éducation, renforçant le fossé entre elle et ses parents. Elle leur reproche tellement de choses, comme le fait de ne pas la comprendre, de ne pas faire d'efforts, de se contenter de cette vie, de cette maison à la piscine verte et jamais terminée, à cet amas de bibelots moches. Elle vit un amour à distance avec Martin, un allemand rencontré en Chine avec qui elle entretiendra une relation des années durant, mais se pose de grosses questions sur sa sexualité. Linh décide de s'engager pour les femmes et de parler de violences qu'elles subissent notamment en rendant visite à sa mère biologique, lui laissant entendre qu'elle sait que son mari la bat. Minh de son côté souhaitant aussi s'en sortir, se rendant dans des structures afin de se faire aider.
Un beau roman évoquant pas mal de sujets, dont le sujet se rapproche un peu du génial "Pleurer au supermarché" de Michelle Zauner que j'avais adoré. Le fait d'avoir pris le parti de présenter trois femmes, dont deux très proches de notre protagoniste principale apporte de l'intérêt au récit et une dimension plus profonde que si le récit s'était uniquement concentré sur Linh. J'avoue que Linh m'a un peu énervée à certains moments, mais n'étant pas dans sa situation, je ne peux donc pas vraiment me projeter dans sa personne, j'ai donc essayé de garder l'esprit ouvert et de ne pas trop la juger.
Il faut savoir que Lou Eve est également adoptée d'origine vietnamienne, je pense donc qu'il y a pas mal de vécu dans cette histoire.
"Sous les strates" de Lou Eve, 8€
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