Le dernier de Haruki Murakami ahlala par où commencer?... Quand j'ai su que le maître japonais de l'onirisme, entre autre allait sortir un nouveau roman prévu pour le tout début d'année j'étais extatique. On l'a su vers octobre lorsque nous avons traité les bons de commande, et j'avoue que j'étais tellement excitée, Murakami étant largement mon auteur japonais préféré, découvert lorsque je devais avoir 16,17 ans avec la trilogie 1Q84. Ensuite je les ai au fur et à mesure quasiment tous lus: Kafka sur le rivage, La ballade de l'impossible, La fin des temps, Le meurtre du commandeur, Les amants du Spoutnik et j'en passe. Frustrée de ne pas voir d'autres romans de lui sortir, Murakami m'a permis d'ouvrir mon spectre pour la littérature japonaise de façon générale. Plutôt contemporain que classique, il a clairement donné l'impulsion de mon intérêt pour le Japon et sa littérature.
Mais revenons à son dernier roman "La cité aux murs incertains" pavé de 550 pages sorti le 2 janvier. Achevé d'écrire en décembre 2022, l'auteur nous présente son nouveau bébé, sorte de prequel à "La fin des temps". Il avait déjà sorti une nouvelle dont le titre était semblable à "La cité aux murs incertains", il y a 40 ans, mais était resté sur un sentiment d'inachevé. Pour pallier à ce sentiment il a décidé 40 ans plus tard, d'en faire une histoire entière et de l'approfondir. Ce dernier roman en est le résultat.
Mais avant, vous disant que j'étais tellement excitée de le découvrir, j'ai donc écrit au représentant Belfond lui demandant s'il était possible de m'en envoyer un exemplaire étant une grande fan de l'auteur. Il a sympathiquement accepté, les exemplaires étant limités j'ai eu de la chance. J'ai également fait la connaissance de Angélique travaillant pour la maison d'édition également avec laquelle j'ai pu échanger sur l'auteur et lui faire part de mon grand intérêt pour sa littérature. Reçu deux jours après sa sortie, je me suis plongée dedans et l'ai lu en une petite semaine. On retrouve bien évidemment le style de l'auteur, peut être moins original ou complètement onirique que certains de ses romans, mais j'ai été ravie de me replonger dans son univers. Je vais essayer d'être succincte tout en vous racontant quand même l'histoire.
Déjà le roman est divisé en trois parties ainsi qu'une postface. La première se déroule lorsque notre narrateur, qui n'a pas de nom comme c'est courant chez l'auteur japonais, est adolescent. Il rencontre une jeune fille dont il devient rapidement très épris. Ils se rencontrent souvent et s'écrivent, partageant leurs histoires et leurs vies, elle, lui disant qu'elle vient d'une cité lointaine, dans laquelle elle a vécu plusieurs années avant d'en sortir et d'être adoptée par une famille. Notre narrateur adolescent est très curieux de la vie dans cette cité dotée d'un grand mur qui a l'impression de se déplacer, cité dont on ignore la géographie intérieure, dans laquelle les habitants n'ont pas d'ombre, vivent sans électricité, gaz et eau courante. Cité dans laquelle des licornes sont les seuls animaux présents, partagée par trois ponts, et par une rivière. Il veut tout savoir de la vie singulière de cette cité, la jeune fille lui partageant ce qu'il souhaite savoir tout en se confiant et lui disant qu'elle a besoin de temps pour tout. Qu'elle aimerait se donner entièrement à lui mais qu'elle ne peut pas. Un jour subitement, elle cesse de lui écrire, l'adolescent devenant très inquiet.
Une nuit en rêves, ou en réalité, la frontière entre réalité et rêve étant très tenue chez Murakami, notre adolescent se retrouve dans ladite cité. A son arrivée, un gardien lui explique le fonctionnement de celle-ci, le garçon devient liseur de rêves, se faisant faire une sorte d'opération aux yeux pour qu'ils soient aptes pour son futur travail. Il signe un pacte avec lui, laisse son ombre de côté, enfermée dans une cellule gardée par le gardien des lieux. Il découvre alors cette fameuse cité singulière calme, dans laquelle personne ne communique avec personne ou si peu. Les habitants sont-ils les ombres de leurs propriétaires ou leurs propriétaires eux-mêmes? On leur fait croire que leur ombre a été détachée d'eux mais n'est-ce pas le contraire? Le garçon se questionne longuement. Il travaille désormais dans une bibliothèque le soir de 17h jusqu'à minuit, lisant de vieux rêves. Il revoit la fameuse jeune fille de laquelle il était amoureux mais elle ne le reconnait pas. Elle lui dit que son ombre est morte depuis longtemps. En effet, elle l'avait prévenu que au sein de la cité, elle risquait de ne pas la reconnaître. Les jours, les semaines passent, son quotidien est très calme et guère différent des jours précédents. Il vit dans une maison prêtée par la cité, dont la porte ne se ferme pas à clé, entouré de ces hauts murs bougeant sans cesse, délimitant la cité mais d'une façon dont il ignore tout. Les bêtes, licornes donc vivent éloignées dans la cité et chaque jour le gardien sonne le cor pour les faire sortir et puis entrer de nouveau. Les bêtes régissent la vie de la cité.
Le garçon se rend où son ombre est enfermée et discute avec elle, celle-ci lui disant qu'elle pense que les habitants de la cité sont peut-être leurs ombres et que leurs vrais corps ne sont plus là. Le garçon ne sait qu'en penser, mais un jour il décide de quitter la cité aidé de son ombre. Finalement il change d'avis, ne souhaitant pas retourner à sa morne vie d'avant. Son ombre s'enfuie donc de la cité, le mur bougeant sans cesse augmentant la difficulté de la fuite. Quand j'écris ces lignes je ne sais toujours pas finalement si c'est l'ombre ou le corps qui s'est enfui de là, les deux étant certainement pas ce que l'on croit... " "Était-elle vraiment mon ombre? Et moi étais-je vraiment mon vrai moi? Mon ombre avait raison, petit à petit il devenait de plus en plus difficile de distinguer les hypothèses des faits" page 165.
Ensuite débute la seconde partie. On a donc un gros aperçu de la situation le lecteur se demandant si on suit désormais l'ombre ou le corps, "le moi" de notre protagoniste. Il n'est désormais plus dans cette cité, est adulte, la quarantaine et travaille dans une entreprise d'export de livres. Il vit à Tokyo, et ne s'est jamais remis de la séparation d'avec la jeune fille qui a comme complètement disparu de la surface de la Terre. Il se réveille un jour et revient à cette vie d'avant qui ne l'enthousiasme guère. Il sait qu'il veut désormais travailler dans une bibliothèque à tout prix. Il quitte donc son travail, se renseigne pour un poste dans une bibliothèque n'importe où au Japon. Finalement il finit dans une petite ville de la préfecture de Fukushima, au nord de Tokyo donc, dans un endroit reculé et froid. Il prend ses fonctions en tant que directeur de la petite structure, reçu par le directeur lui-même, Mr Koyasu, un vieil homme sympathique qui après quelques minutes de discussion lui confie le poste avant de lui dire qu'il devait "retourner de là d'où il venait' formulation quelque peu étrange. Notre protagoniste emménage dans une petite maison non loin de son nouveau lieu de travail et se fait petit à petit à cette nouvelle vie calme, à mille lieues de la vie tokyoïte.
La seule autre employée permanente est Mme Soeda, la trentaine, travaillant ici depuis dix ans. Elle est un peu l'abeille vigilante de la bibliothèque. Notre nouveau directeur prend ses marques, s'habitue à ce quotidien calme, se fait à l'hiver rude de la région, travaillant sans ordinateur, tout se fait à la main, et rencontre régulièrement Mr Koyasu. Un jour celui-ci lui confie qu'une pièce secrète existe au rez-de-chaussée, non loin de la salle de lecture. Notre héros découvre alors un poêle à bois, qu'il imaginait dans son esprit, comme dans la cité où il a vécu ( était-ce un rêve ou la réalité?) Le bois utilisé est du bois de pommier, se rappelant que le gardien de la cité avait distribué des pommes aux habitants. Tout coïncide, comme si son rôle était d'être ici. Il remarque quelques éléments étranges chez l'ancien directeur âgé de 70 ans: sa montre sans aiguilles déjà, lui rappelant le cadran de la place principale dans la cité, sans aiguilles elle aussi. Mais aussi le look original du vieil homme toujours affublé d'un béret, ramené de France par sa nièce, d'un haut plutôt chic et conventionnel mais portant à chacune de ses visites une jupe. Une tenue plutôt singulière qui au début choqua les habitants, mais l'homme étant un réel mécène pour la ville, ayant fourni la bibliothèque et donnant du travail, est désormais respecté.
A chacune de ses visites le vieil homme est affublé de cet uniforme qui lui est propre. Notre héros en apprend plus sur lui comme quoi il a vécu une tragédie dans sa vie, après être tombé follement amoureux d'une jeune femme de dix ans de moins que lui. Il a toujours gardé dans son cœur ce malheur et cette peine. Notre directeur apprend un jour quelque chose de très étrange sur Mr Koyasu amenant encore plus une dimension fantastique au récit. Il dit "Les os sont des os et les âmes sont des âmes: les uns sont matières les autres quelque chose d'immatériel. Une âme qui a perdu son corps disparaît avec le temps. Par conséquent, si je suis mort, je suis aussi seul dans l'au-delà que je l'étais dans la vie". Les deux hommes se donnent régulièrement rendez-vous, même en pleine nuit lorsque la bibliothèque est fermée, toujours dans la fameuse pièce au poêle à bois.
La vie de notre nouveau directeur devient très routinière. Chaque lundi, jour de fermeture de la bibliothèque, il marche et se rend au cimetière discuter avec quelqu'un... Il fait la rencontre d'une jeune femme tenant un café sans nom dans le village de laquelle il se rapproche. Elle habite que depuis quelques années ici, auparavant vivant à Sapporo, mais suite à son divorce elle a décidé de tout quitter elle aussi. Les deux se voient régulièrement au café ou lors d'un diner chez le directeur.
Un jour notre nouveau directeur fait la connaissance d'un jeune adolescent, déscolarisé, atteint du syndrome du savant fou, retenant tout, étant capable de ressortir la moindre information. Toujours habillé du même sweat à l'effigie d'un film "Yellow submarine" notre directeur l'appelle comme cela. Le jeune garçon passe son temps à lire des quantités phénoménales de livres, venant souvent l'après-midi jusqu'à la fermeture à 18H. Un jour il dessine au directeur un plan très fidèle de la fameuse cité aux murs incertains, suite à une discussion qu'ils ont eue sur le sujet. Notre héros n'en revient pas, surtout quand le jeune garçon lui fait part de son envie profonde de se rendre dans ladite cité. Il veut lui aussi lire des rêves. Notre directeur refuse de lui en montrer la voie, mais le garçon n'en démord pas. Un jour il ne vient plus, ses parents signalant sa disparition, le directeur étant persuadé qu'il s'est enfui en direction de la fameuse cité. Un endroit où il pourrait être lui-même, ne s'attachant pas à la vie dans laquelle il est, dénué d'empathie et de sentiments d'affection envers sa famille.
On arrive ensuite dans la dernière partie du récit et la plus courte, de nouveau dans la cité, je ne vais pas vous en dire plus, mais il y a une histoire de lobe d'oreille, de morsure, de retour dans la cité, du jeune garçon. Corps et ombre sont vus comme des alter-ego, qui est l'ombre et qui est le corps?
Je ne vais pas vous en dire plus en ayant suffisamment dit je pense. Difficile de résumer Murakami sans trop en dire tout en expliquant quand même bien, mon article pouvant peut être vous aider à bien comprendre le récit à posteriori, n'étant pas facile à appréhender comme toujours. Il est beaucoup question de notions d'ombre, du corps, du vrai moi, de barrière ténue entre rêve et réalité, de la mort également. Encore une fois, du pur Murakami que j'ai adoré découvrir, ma partie préférée étant la seconde et pas la première dans la cité, partie durant laquelle je me suis légèrement ennuyée j'avoue.
Je vous conseille vivement la lecture de "La cité aux murs incertains".
"La cité aux murs incertains" de Haruki Murakami, 25€
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