J'avais très envie de découvrir le nouveau roman sorti en poche de Abdellah Taia, découvert grâce au Bastion des larmes, sorti lors de la rentrée littéraire d'automne que j'avais adoré. Parlant de vrais sujets, peu évoqués habituellement pour un homme marocain homosexuel musulman, j'ai beaucoup apprécié son précédent. Dans celui-ci, tout fin mais tellement beau, commencé au travail, l'auteur rend hommage à sa maman, Malika, de laquelle il raconte l'histoire et la vie.
Le récit est une entière réminiscence des souvenirs de la vie de Malika, une sorte de tirade avec seulement peu de dialogues, rendant le récit très fort et puissant. Malika donc, nait à Beni Mellal au Maroc. A 17 ans, elle est mariée à un homme de dix ans son aîné qu'elle aime, Allal, un homme qu'elle admire et qu'elle aimera jusqu'à sa mort tragiquement seulement après deux années de mariage. Le père de Malika s'assure que sa fille soit d'accord pour ce mariage, ne voulant la forcer, mais l'enfant l'est et il est donc question de la fameuse dot. La jeune fille est donc clairement vendue à sa belle famille qui ne l'appréciera guère. Allal n'ose affronter sa famille, le respect des aînés est grand tout comme doit l'être une femme envers son père puis son mari et sa belle famille. Malika se rend rapidement compte que Allal son héros est amoureux de Merzougue, un ami, les surprenant plusieurs fois tout nus s'adonnant à des actes intimes. Allal est ensuite envoyé en Indochine, le Maroc à cette époque étant sous domination française, la famille du jeune homme insistant pour qu'il y aille, recevant en retour de l'argent lorsque celui-ci meurt. Sa jeune épouse ne verra jamais son corps, resté là-bas. Elle en veut alors terriblement à la famille de son mari ayant sciemment vendu son corps aux français.
Une scène assez forte entre les deux époux, ne sachant pas s'il s'agit d'un rêve ou de la réalité, nous les montre un jour de neige, lorsqu'un hélicoptère s'approche d'eux, devant prouver leur bonne foi, et se pissant littéralement dessus de peur. Lorsque Allal meurt, les parents de son mari font clairement comprendre à Malika qu'elle doit partir. Chassée de chez elle une première fois par sa famille puis une seconde par sa belle-famille, elle n'a plus d'endroit où aller. La jeune fille se rappelle de la foi qu'avait Allal envers Mehdi Ben Barka, un homme brillant voulant libérer le Maroc. Un homme proche du peuple voulant se battre pour l'indépendance. Aidée de Merzougue, Malika offre alors une sépulture à son mari qu'elle aimait tant mais sans le corps. Malika maudit les parents de Allal pour avoir vendu leur fils. Ayant alors perdu l'amour de sa vie, elle se marie par dépit à Mohammed, un homme avec lequel elle aura neuf enfants.
Rabat des années plus tard. Malika et sa famille vivent précairement dans un deux pièces, dans le jardin de la bibliothèque générale dans laquelle travaille son mari en tant que chaouch, homme à tout faire. La fille aînée de Malika et Mohammed, Khadidja âgée de 15 ans attire tous les regards, sa mère voulant la marier à un homme de haut rang du palais royal, dont un mur donne sur leur propriété. Mais la jeune fille, séduite par Monique, une femme blanche française très belle aux cheveux de feu ayant vécu au Maroc des années et dont le père est enterré ici, souhaite travailler pour elle et sa famille. Malika voit cette femme comme une réelle menace, ne voulant surtout pas que sa fille soit leur bonne, cette beauté méritant mieux, et hait cette femme qu'elle n'a jamais vue, s'étant attirée la sympathie de Khadidja et Mohammed. Malika fait jurer à sa fille de jeter des mauvais sorts à cette blanche qu'elle ne juge pas digne de parler arabe marocain, elle-même ne parlant pas le français.
On en apprend plus sur son mariage avec Mohammed, poussé par Messaouda, la sœur de celui-ci, prostituée de métier ayant proposé son frère comme parti. Malika est une femme ouverte, ne jugeant pas Messaouda malgré son travail, le frère et la sœur entretenant une drôle de relation, s'apparentant plus à une relation de couple que fraternelle. Un jour elle rencontre la fameuse Monique de laquelle elle tombe sous le charme à son tour. La dernière partie du récit à Salé évoque plus la vie de l'auteur lui-même, sous le nom de Ahmed, que l'on retrouve en personnage principal dans "Le bastion des larmes", dont la mère sait qu'il est homosexuel, un terme qu'on ne dit pas au Maroc, et ne l'ayant jamais protégé des violences subies. Elle regrette son exil en France, on est alors en 1999. Désormais veuve, la femme n'ayant pas encore 70 ans se plaint de ses enfants ingrats à qui elle a tout donné, et qui ne lui rendent pas, son fils ne l'ayant même pas prévenue de son départ.
La fin est assez addictive, nous présentant un dialogue, un des rares du récit, entre Malika et Jaafar son neveu si j'ai bien compris, sorti de prison, homosexuel lui aussi, ayant servi de jouet pour les prisonniers durant cinq ans. Là-bas, les relations entre hommes sont largement plus acceptées qu'à l'extérieur, ayant vécu le pire, mais aussi l'amour. Il vient dans le but de dérober à Malika son argent mais elle va tenter de communiquer avec lui. On apprend alors les conditions de vie en prison, que la jeunesse est alors condamnée à y faire un tour sans beaucoup d'espoir de vie meilleure. Jaafar remet sous les yeux de Malika le sort horrible que son fils Ahmed a vécu, n'ayant rien fait pour le protéger, se rendant alors compte de tout ce qu'elle a gâché. Jaafar souhaite retourner en prison, la vie là-bas lui manquant.
Un récit court mais poignant et intense sur la vie d'une femme durant la colonisation française puis après, avec cette difficulté de trouver sa place, de rejet, de manque d'espoir, de précarité, de famille, de faire les bons choix, une vie de femme difficile au Maroc. Malika est une figure forte et sympathique, mais qui à la fin montre ses faiblesses. Un roman que je conseillerai à tous.
"Vivre à ta lumière" de Abdellah Taia, 6.95€
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