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Embrasser Kaboul

 "Embrasser Kaboul" un formidable roman que j'ai adoré découvrir, sorti récemment au moment où j'écris, que j'ai lu une dizaine de jours après sa sortie. En ayant reçus plusieurs dans mon rayon, j'en ai demandé un exemplaire pour moi, et qu'est ce que j'ai bien fait! Lu en trois ou quatre soirs, j'ai adoré découvrir la vraie vie de Elisabeth Naim Khan, une femme ayant réellement existé, et ayant participé à l'évolution de l'émancipation des femmes en Afghanistan, son pays d'adoption. Charlotte Erlih, l'autrice, normalienne et agrégée de lettres modernes, s'est en effet intéressée à la vie de cette femme, en obtenant des documents sur sa vie, notamment via Massoud son petit-fils. Le récit sera donc une alternance de points de vue entre l'histoire d'Elisabeth, romancée, et les découvertes de l'autrice elle-même, qui nous les partage directement. Une façon originale d'organiser le récit, que j'ai beaucoup appréciée.

Tout commence donc en 1926, il y a quasiment un siècle de cela, à Saint-Malo en Bretagne. Elisabeth a la vingtaine, est installée à Londres où elle travaille et vit seule. Elle revient un été dans sa famille, profiter du climat qu'elle adore tant, et aider ses parents dans leur pharmacie. Un jour alors qu'elle les aide, elle rencontre un homme qu'elle trouve très beau: Naim Khan, un prince afghan, venu en France faire ses études, accompagné de trente-trois autres jeunes de son pays, envoyés en France pour s'éduquer et retourner dans leur pays natal ensuite. Elisabeth va tellement s'éprendre de cet homme, que tous deux vont se marier. Un enfant nait de cette union: Hakim, qu'Elisabeth aimera et protégera de tout son cœur jusqu'à la fin de sa vie. 

Le destin de Naim est celui de rentrer dans son pays, vivant à l'époque un climat politique assez instable, son cousin étant Roi, Amanullah Khan, un homme progressiste, très engagé dans les droits des femmes et leur émancipation, peut être un peu trop à cette époque, pas prête à subir d'aussi radicaux changement aussi rapidement. Le pays vit également encore dans la pauvreté et la précarité, n'ayant pas de systèmes de toilettes, n'ayant pas de voiture, eau et électricité courante, le pays étant bien arriéré par rapport à la France, ce que rappelle la famille d'Elisabeth à leur fille. Pourtant, celle-ci insiste, ne se laisse pas démonter, elle suivra son mari en Afghanistan et elle y vivre bien. Elle a hâte de découvrir les terres de celui qu'elle aime, persuadée qu'elle vivra la belle vie, ayant la chance d'appartenir à la famille royale, son propre grand-père Abdur Rahman Khan, ayant établi l'état afghan fin XIXème siècle. 

Malheureusement cela ne se passera pas aussi bien ni même aussi rapidement que prévu pour rejoindre l'Afghanistan. Le couple et leur enfant resteront une année entière entre Bombay et New Delhi, hébergés par le consul afghan en Inde, en attendant que la situation afghane se calme. En effet, Amanullah est rejeté par son peuple, et il décide alors de fuir accompagné par son épouse Soraya, une femme faisant forte impression à notre française, vêtue de façon très différente du style traditionnel afghan où le "tchadri" la burka, est obligatoire encore, et portant les cheveux courts. Une femme se voulant moderne et progressiste, ayant donc aidé son mari dans cette voie. 

Le couple Naim Khan restera donc en Inde, dans la fournaise, mais heureusement pour eux, à l'abri de la misère et vivant dans des conditions qui pourraient être largement pires. Cependant Hakim devient malade, sa mère terrorisée à l'idée qu'il meure, elle aussi touchée par la malaria plus tard, maladie qui l'affectera en moyenne deux fois par an, durant le restant de sa vie. En Inde, elle tourne en rond, son mari n'est guère présent, elle se rend alors compte de ce qu'elle a sacrifié par amour. Charlotte Erlih écrit alors " sans que je m'en aperçoive, il avait perdu ma confiance et j'avais perdu mon amour". Heureusement son fils est là, et le consul, homme sympathique lui donne des leçons de dari, pour l'aider à son intégration une fois arrivée en Afghanistan. 

Le jour arrive enfin, nous sommes en 1929. Amanullah Khan n'est plus roi, un tyran l'a remplacé, tandis qu'un autre homme, Nadir Shah, un ancien-soutien du souverain progressiste revient au pays, après s'être exilé avec sa famille sur la Côte d'Azur, attendant son heure, sera finalement Roi. Il est donc temps pour Elisabeth et Naim de retourner en Afghanistan. Ils prennent la voiture, le trajet durera bien plus longtemps que prévu, le pays vivant une grande insurrection et ne laissant pas aussi facilement rentrer qui le voudra. Elisabeth déchante rapidement, devant endosser le fameux tchadri qu'elle déteste déjà, sous lequel elle étouffe, invisible aux yeux des autres, cachée, ne pouvant voir son environnement que via une sorte de grillage sous son grand voile noir. Son mari d'excuse, en lui disant qu'elle n'a pas le choix et qu'elle devra s'y faire. Elisabeth qui pensait arriver dans un pays où la liberté et la place des femmes était en train de s'améliorer, tombe de haut. 

La première vision qu'elle a du pays, après un trajet en voiture plus que difficile pour attendre la belle maison de Kaboul, est l'absence de femmes, et la vue à tous, de corps d'hommes complètement dévêtus sans aucun problème " à Kaboul, le visage des femmes doit être caché, mais les hommes chient à l'air libre, et exposent tout ce qu'ils possèdent sans le moindre état d'âme". Le contraste est alors saisissant pour cette bretonne, qui ne verra jamais un seul visage d'afghane dans les rues. Les femmes sont cloitrées chez elle, ne sortent que très peu, et quand elles le font, elles portent le fameux voile intégral qui les soustrait complètement aux yeux du monde. La moitié d'un peuple dont on ne verra le visage découverte dans les médias qu'en 1959.

 "La princesse est alors une captive" écrit l'autrice, Elisabeth devant se plier aux coutumes locales, endosser ce tchadri même pour faire quelques mètres avant d'atteindre sa nouvelle et luxueuse demeure. Elle sait qu'elle est privilégiée par rapport au peuple local qui vit de façon très précaire, mais elle a du mal à apprécier son sort, devant rester à la maison. Elle rencontre alors les six femmes qui ont élevé son mari, qui seront pour elles de précieuses alliées. Elle l'aideront à s'occuper de son fils, et à lui apporter un semblant de joie et d'humanité. Les femmes vivant recluses, s'occupant comme elles le peuvent, à cuisiner, coudre, soigner les maladies. Naim rapidement occupe un poste dans une société d'électricité, le fameux Nadir Shah étant alors devenu Roi. Un roi pas aussi progressiste que Amanullah Khan, mais quand même un peu, que rencontrera rapidement Elisabeth, s'entendant bien avec sa femme et son fils. Il lui jure essayer d'améliorer le sort des femmes, bien au courant que l'Afghanistan n'est sûrement pas prête à subir autant de modernisations. 

Pendant une grosse année, Elisabeth restera chez elle, entourée de ces six femmes, de son fils qui grandit, se levant chaque matin déguster une tasse de thé avec son mari avant qu'il ne parte, celui-ci s'étant rapidement détaché d'elle. La famille d'Elisabeth lui manque beaucoup, elle regrette peu à peu sa décision. Joseph Kessel, venu au pays pour tourner un film "La passe au diable", remarquera qu'aucune femme ne veut jouer dans son film, ne pouvant pas se permettre de recevoir l'opprobre du pays tout entier sur ses épaules, après avoir accepté de dénuder son visage. Finalement ce sera Elisabeth elle-même qu'interrogera le réalisateur et écrivain en 1959, celle-ci apparaissant le visage découvert et tous deux discutant du pays. 

Le temps passe, un jour Elisabeth se rend compte qu'elle n'a plus la force de se lever, s'habiller, elle qui était si coquette en Europe, ne peut même plus joliment se vêtir, étant bloquée avec ce voile. Son mari l'encourage alors à retourner en France un moment, ce qu'elle fera, six mois durant accompagnée de son fils. A ce moment-là, notre héroïne se rend compte du désamour qui les lie, Naim intéressé par une de ses cousines... Elisabeth retrouve donc quatre ans après avoir quitté les siens, son pays natal qui lui avait tant manqué. Son fils apprend le français, se fait bien à la vie avec ses grands-parents. Elisabeth signera même un papier sur sa vie en Afghanistan, dont elle égayera la vérité. Finalement six mois plus tard elle repart, direction cet enfer qui l'a isolée des années durant. 

Le couple aura deux autres enfants, Sophia et Nesrine, deux filles que Elisabeth tentera de préserver face a la réalité du monde, l'éducation dont elles sont exclues, la place publique sur laquelle elles n'ont pas le droit de montrer leurs visages, les mariages forcés et autres situations sympathiques dont elles sont victimes. Elisabeth décide alors qu'elle participera à l'avancée de l'émancipation des femmes en Afghanistan, elle créera un atelier dans lequel uniquement des femmes travailleront, elle sera professeure dans une école, dans laquelle les petites filles pourront venir étudier, dont les siennes. En plus de tout cela, elle décide un jour en retournant chez elle, d'enlever son voile. Ce geste fort, d'autres femmes le suivent, à leurs risques et périls. Les années passent, Elisabeth n'aura pas le choix que de voiler ses filles, quand bien même Sophia déteste cet objet qui l'isole. 

Dans les années 1950, le 1er ministre Massoud modernise le pays, bienfaiteur pour Sophia et Nesrine. Sophia travaillera pour lui, les deux sœurs et leur mère se battront pour faire avancer la cause des femmes. L'homme intéressé par des financement étrangers, il n'a donc guère le choix que d'améliorer la situation sociale de son pays. Un jour même, Elisabeth retournera en France, où Sophia insistera pour l'accompagner, stupéfaite de la liberté des femmes dans le pays de sa mère. Pas de voile, elles peuvent conduire, et même si l'après-guerre rend leurs vies difficiles, elles ne sont pas complètement isolées. La jeune fille aimerait alors beaucoup rester au pays mais ce ne sera pas possible. 

Bref j'en ai déjà dit beaucoup sur ce livre très riche, évoquant plusieurs décennies et moult situations politiques et sociales d'un pays toujours instable, dont la situation des femmes présentement, a fortement régressé plus de 100 ans en arrière. Les premières femmes dont on verra les visages dans la presse, seront ceux de Sophia et Nesrine en 1959, et jusqu'en 1994, toutes les trois ainsi que leur mère, vivront enfin les avancées qu'elles avaient espérées. Elles ne verront jamais les talibans reprendre contrôle du pays, ayant pour conséquence une nouvelle fois, la régression des droits et de la femme. encore actuellement en 2025. 

Un très beau roman hyper intéressant, construit d'une façon singulière que j'ai beaucoup aimée. La vie de Elisabeth Naim Khan était passionnante, une femme dont je n'avais jamais entendu parler, ce qui m'a permis d'apprendre beaucoup de choses, sur la vie de cette femme, mais également sur la situation d'un pays toujours dans l'instabilité et l'incertitude. Ce roman a quelques similitudes avec le très beau "Le printemps reviendra " de Nour Malowé, se déroulant également en Afghanistan mais à l'époque actuelle. Je ne peux que vous conseiller VIVEMENT cette lecture absolument passionnante.



"Embrasser Kaboul" de Charlotte Erlih, 23€

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